Coronavirus Covid-19 : l’immunité de groupe insuffisante pour le déconfinement – Sciences et Avenir

Il faut que le confinement persiste encore sur plusieurs semaines à partir de maintenant”, a déclaré ce matin, mercredi 8 avril 2020, Jean-François Delfraissy. Le président du Conseil scientifique assurait sur France Info la communication autour du nouvel avis scientifique publié la veille et évoquant pour la première fois les critères et l’ébauche d’une stratégie de déconfinement. Prudent quant au risque de relâchement dans la population, il a insisté sur le fait que “dans l’état actuel des connaissances, on peut commencer à discuter d’une stratégie sur ce qu’il se passera dans le post-confinement, mais la poursuite d’un confinement strict est capital.

Transmis aux autorités nationales le jeudi 2 avril à 18h, peu avant l’intervention du Premier ministre Edouard Philippe dans la soirée, l’avis fait d’abord l’état des lieux du confinement, et rappelle que son objectif principal n’est pas encore atteint. “L’effet du confinement devrait prendre trois semaines avant de se matérialiser, le temps que les patients qui étaient en incubation au moment du confinement aient été admis en réanimation s’ils devaient évoluer vers une forme grave”, expliquent les experts. C’est cette baisse du nombre de patients admis en réanimation qui commence justement à être observée en France. Un début de déconfinement paraît difficilement envisageable avant la première quinzaine de mai, au mieux.

L’immunité de groupe est insuffisante

Le nombre de personnes qui ont déjà été en contact avec le virus et seraient donc présumées immunisées est trop faible pour entrer en compte dans la stratégie de déconfinement. L’immunité dite “de groupe”, “populationnelle” ou “collective”, est la protection offerte contre la circulation d’un virus lorsqu’une certaine proportion de personnes sont immunisées dans une population définie. ” Les premières données que nous avons montrent que l’immunité populationnelle, ce pourcentage de personnes qui ont été en contact avec le virus est plus faible que nous l’avions imaginé, de l’ordre peut-être de 10 à 15% “, a précisé Jean-François Delfraissy. Or, pour un virus comme SARS-CoV-2, il faudrait qu’environ 60% de la population soit immunisée pour activer une immunité de groupe effective. Ce paramètre n’est donc “pour l’instant pas pris en compte (…) y compris dans les zones les plus touchées par la première vague de l’épidémie”, précise l’avis.

Changement de doctrine d’utilisation des tests

La montée en puissance des capacités de tests, diagnostiques ou sérologiques, au cours de la troisième et quatrième semaine du mois d’avril sera déterminante. “Ce déploiement opérationnel est urgent”, écrivent les experts qui appellent à l’associer à “une modification de la doctrine actuelle d’utilisation des tests”. Jusqu’ici, les tests diagnostiques (RT-PCR) étaient réservés aux malades hospitalisés ou aux soignants. Et les tests sérologiques (voir encadré) qui permettent de dire qui est immunisé ou non contre le virus, commencent à peine à être déployés.

“La phase actuelle de montée en puissance rapide des capacités diagnostiques dans la perspective de la période post-confinement fait qu’il est certain que les outils et moyens prévus à terme seront disponibles et fonctionnels bien avant l’échéance de la levée du confinement, écrivent encore les auteurs de l’avis. Cela va permettre de commencer rapidement leur utilisation, tant pour les plateformes de RT-PCR à haute capacité, que pour les tests sérologiques unitaires rapides (tests rapides réalisables hors du laboratoire) ou les tests sérologiques classiques (test réalisés sur automates de laboratoire). Durant le mois d’avril, l’installation des plateformes de RT-PCR vont permettre d’avoir une capacité diagnostique sécurisée de plus de 45.000 tests/jour, en complément des capacités hospitalières et privées existantes qui seront renforcées a hauteur de 15.000 tests/jour. A noter que de nouveaux tests moléculaires rapides et ultra-rapides (respectivement 45 et 15 minutes) sont en cours d’évaluation. Durant la même période, des tests sérologiques unitaires seront disponibles en grande quantité (3eme semaine d’avril), ainsi que des tests sérologiques automatisés de type ELISA (fin avril). L’évaluation de leurs performances analytiques est programmée pour la seconde quinzaine d’avril.” En creux, on comprend que la levée progressive du confinement n’interviendrait pas avant la première quinzaine de mai, au mieux.

Dans l’optique de cet élargissement des critères d’accès aux tests, le Conseil scientifique émet quatre recommandations, listées ci-dessous :

  • Le dépistage diagnostique élargi des personnels soignants au contact des populations fragiles en ville.
  • La prise en charge complète et exhaustive des suspicions d’infection dans les EHPAD ou les établissements médico-sociaux, en combinant un diagnostic par RT-PCR et sérologique chez les malades et les contacts, tant chez les personnels que les résidents.
  • La prise en charge complète et exhaustive des suspicions d’infection en combinant un diagnostic par RT-PCR et sérologique dans les prisons et autres établissements fermés.
  • Mesurer le pourcentage d’immunité collective en réalisant des enquêtes sero-épidémiologiques de terrain pour déterminer le taux de pénétration du virus dans différents territoires.

Cette politique de test permettra “éventuellement de valider les stratégies innovantes de rendu des résultats et de ” contact tracing ” nécessaires durant la phase de déconfinement”, précise encore le conseil.

“Les éléments d’une stratégie postconfinement”

Avant d’envisager le déconfinement, outre la nécessité de désengorger les services de soins intensifs et de réanimation et leur donner le temps de se réorganiser, la réduction du nombre de cas devra être “suffisamment importante pour que la détection des nouveaux cas de façon systématique redevienne possible. Ceci permettra de disposer de chiffres fiables sur la progression de l’épidémie en amont du risque de saturation du secteur hospitalier afin 1) de détecter et contrer précocement les reprises de l’épidémie ; et 2) d’appliquer rapidement les mesures de contrôle auprès des cas et de leurs contacts”, détaille l’avis. Enfin, le Conseil scientifique prévient que “le gouvernement devra s’assurer que les éléments d’une stratégie postconfinement seront opérationnels”. Et ils sont nombreux… En voici la liste :

  • Le choix des mesures de distanciation sociale qui seront maintenues pendant la période de post-confinement ;
  • La disponibilité des protections matérielles comme les gels hydro-alcooliques et les masques à l’usage des personnels soignants, des personnes en situation d’exposition au virus en priorité, puis à l’ensemble de la population, comme en Asie ;
  • Des capacités hospitalières et de médecine de ville restaurées dans les régions qui ont été les plus touchées ;
  • Un système de surveillance épidémiologique opérationnel pour les indicateurs les plus sensibles comme le nombre de nouveaux cas sur le territoire national et dans les lieux à risque d’épidémie ;
  • Des capacités de diagnostic rapide d’infection aiguë et de rendu des résultats aux patients avec transfert des données en temps réel aux systèmes de surveillance épidémiologique ;
  • De nouveaux outils numériques permettant de renforcer l’efficacité du contrôle sanitaire de l’épidémie ;
  • Des modalités d’isolement des cas et de leurs contacts adaptées au contexte personnel ;
  • La protection des personnes vulnérables et susceptibles de faire des formes graves de la maladie ;
  • La protection des populations les plus à risque d’épidémie du fait de leur situation d’habitat (ex : migrants, prisons, personnes en institution) ;
  • Une politique de contrôle aux frontières.

Enfin, le Conseil scientifique insiste sur “un point essentiel : si les stratégies post-confinement sont nécessaires, la priorité demeure cependant la poursuite d’un confinement renforcé dans la durée.”

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