Coronavirus : trois angles d’attaque pour traiter le Covid-19 – Sciences et Avenir

Le virus SARS-CoV-2 à l’origine du Covid-19 tue de multiples manières, directement par sa multiplication dans l’organisme, par l’ampleur de la réponse immunitaire qu’il a causée, ou en raison des défaillances d’organes qui suivent l’infection. Difficile dans ces cas-là pour les médecins de définir un traitement : en réalité, chacune de ces situations appelle des solutions très différentes, voire opposées.

Cause du décès : emballement du système immunitaire

Chez certaines personnes, ce n’est pas directement le virus qui cause le plus de dégâts, mais la réponse immunitaire qui s’emballe. Cette suractivation est souvent nommée “orage cytokinique“, en références aux cytokines, produites par le système immunitaire pour en accroître l’activité. Elles vont notamment attirer et activer les cellules immunitaires et ainsi favoriser une réaction inflammatoire. Cette réponse de l’organisme est naturelle face à une agression. Mais lorsque ce système s’emballe, il devient délétère en conduisant les cellules immunitaires à se retourner contre les tissus, parfois jusqu’au décès. C’est ce qu’il semble se passer chez certaines personnes atteintes du Covid-19, mais aussi du SRAS de 2003 ou du MERS de 2012, eux aussi des coronavirus. “Je pense qu’une réponse immunitaire extrême est ce qui tue véritablement les patients (de Covid-19) en détruisant les tissus. Mais ce n’est pas une certitude”, répond à l’AFP Stanley Perlman, spécialiste américain en microbiologie et immunologie.

Cet emballement immunitaire pourrait en partie expliquer la mortalité accrue des malades ayant des antécédents cardiovasculaires, comme l’obésité ou le diabète. “Chez les personnes obèses, il y a comme un état d’alerte constant de l’organisme qui crée une sur-inflammation permanente”, expliquait à Sciences et Avenir Frédéric Altare, immunologiste à l’Inserm à Nantes. “Ce serait alors un cercle vicieux : ces patients qui ont déjà des capacités respiratoires affaiblies s’autodétruisent avec leurs propres lymphocytes (les globules blancs, ndlr).”

Réponse : bloquer le système immunitaire (mais pas complètement)

Pour ces patients, il serait tentant donc de privilégier des traitements qui éteignent ou atténuent la réponse immunitaire. Certains scientifiques pensent aux corticostéroïdes, largement disponibles, et qui agissent sur l’ensemble de la réponse immunitaire. Le problème est bien sûr le risque d’aller trop loin dans la répression de l’immunité, et de laisser le champ libre à l’infection virale toujours en cours. “On ne peut pas faire tomber le système immunitaire au moment où il lutte contre une infection“, alerte dans Nature Daniel Chen, immunologiste et médecin américain.

La solution pourrait alors se trouver dans des médicaments inhibant spécifiquement certaines cytokines parmi les plus hyperactives, sans bloquer l’ensemble du système immunitaire – et notamment en épargnant les globules blancs, particulièrement décisifs dans le cadre d’une réponse antivirale. Parmi les cytokines à cibler, on compte notamment les interleukines 6 et 1 (IL-6 et IL-1), contre lesquelles des médicaments existant sont très efficaces. Mais à l’échelle mondiale, il n’y a malheureusement pas assez de ces médicaments, jusque-là utilisés pour des maladies rares ou très spécifiques, pour tout le monde.

Cause du décès : manque d’oxygène

Lorsqu’elle se localise au niveau des poumons, l’inflammation peut mener à la complication la plus grave du Covid-19 : le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA). La survenue en est particulièrement brutale et sévère, la mortalité se situant entre 30 à 50 %, détaille le site European Lung. Les patients atteints de SDRA on les alvéoles pulmonaires brusquement perméables qui se remplissent de liquide. Le malade s’asphyxie, ses poumons noyés. 

Réponse : de la machine à la molécule à respirer

Pour ces patients, l’usage d’un respirateur est nécessaire, éventuellement avec un décubitus ventral : on met le patient sur le ventre. Lorsqu’il ne répond pas à ces traitements, il reste une dernière extrémité : l’ECMO, qui oxygène artificiellement le sang du patient en court-circuitant les poumons malades, le temps qu’ils se remettent. Mais en temps d’épidémie, les respirateurs comme les ECMO se font rares, et les solutions permettant de donner de l’oxygène sont essentielles pour les économiser. C’est pour cette raison qu’un essai clinique a failli commencer avec l’hémoglobine de ver marin, actuellement utilisée pour oxygéner les greffons. Mais une étude aux résultats alarmants sur les cochons a finalement avorté l’essai dans le cadre du Covid-19.

Autre option envisagée par des médecins américains : l’oxyde nitrique. Lorsque les poumons sont défaillants, l’air est reçu par certaines parties d’entre eux, mais pas par d’autres. L’oxyde nitrique est un gaz qui améliore la circulation sanguine dans les zones des poumons qui reçoivent de l’air, augmentant ainsi la quantité d’oxygène dans le flux sanguin. “Chez l’humain, l’oxyde nitrique est généré dans les vaisseaux sanguins et régule la pression sanguine. Il empêche la formation de caillots et détruit également les toxines potentielles“, explique dans un communiqué le Dr Pankaj Arora, qui veut étudier les effets de l’oxyde nitrique dans un essai clinique.

LE CAS DES CAILLOTS. En fonction des molécules qui les caractérisent, les virus, bactéries ou autres agents pathogènes ont des angles d’attaque préférentiels, que l’on nomme “tropisme”. Le virus SARS-CoV-2 révèle de plus en plus un tropisme vasculaire, c’est-à-dire qu’il interagit particulièrement avec les cellules qui tapissent nos vaisseaux sanguins. “Nous avons découvert quelque chose de très particulier à ce virus : il entraîne un fort taux de thromboses, c’est-à-dire de caillots“, expliquait à Sciences et Avenir le Dr Guillaume Lebreton le 3 avril 2020. Cette forte coagulation est également un effet secondaire d’une forte inflammation. Logés dans les vaisseaux pulmonaires, ces caillots peuvent causer des embolies pulmonaires et un décès brutal, ou un SDRA.

A Boston, une équipe pense que donner un anticoagulant à certains de ces patients pourrait non seulement aider à leur sauver la vie, mais aussi réduire le temps qu’ils doivent passer sous respirateur. Le médicament sélectionné est l’activateur du plasminogène, habituellement utilisé pour prévenir les caillots sanguins chez les personnes en ayant déjà subi les conséquences sous forme d’un accident vasculaire cérébral, d’une embolie pulmonaire ou d’une crise cardiaque. Il s’agit d’une enzyme présente naturellement dans le sang et les tissus, où décompose la fibrine – molécule qui compose les caillots.

Cause du décès : le virus prend le dessus sur le système immunitaire

Chez certains patients, à l’inverse de ceux qui souffrent d’un “orage cytokinique”, le système immunitaire n’est pas assez efficace et se fait submerger par le virus. S’ensuit une défaillance des organes pouvant mener au décès. Chez ces patients, c’est le virus qu’il faut directement cibler. Comme leur nom l’indique, les antiviraux sont des médicaments ciblant un élément spécifique au virus pour le tuer ou bloquer l’infection. Les antiviraux efficaces seront donc ceux qui correspondront à la structure et au mode opératoire du virus considéré.

On sait que SARS-CoV-2, comme le SRAS et le MERS, est un virus à ARN. Il s’agit de son matériel génétique, similaire à de l’ADN, et composé de quatre types de molécules chimiques appelées nucléotides. Comme eux, il possède également une protéine Spike, ou protéine S, qui s’associe à une protéine de nos propres cellules, appelées ACE2. Cette interaction entraîne une internalisation du virus : la membrane de la cellule infectée s’enfonce jusqu’à former une bulle, qui se referme sur elle-même. Une fois à l’intérieur, le virus utilise divers protéines, dont l’enzyme Mpro, afin d’utiliser la machinerie de la cellule infectée pour se multiplier. Toutes ces caractéristiques définissent des cibles potentielles.

Réponse : des antiviraux

Sur la base de ce mécanisme, une étude de Nature a passé en revue par un programme informatique toutes les molécules déjà utilisées ou en cours de validation clinique susceptibles de bloquer Mpro. Six ont été identifiées. D’autres médicaments, dont le principe actif est connu pour agir soit principalement soir par effet indirect sur une des caractéristiques du virus du Covid-19, sont examinées. L’essai européen Discovery en teste quatre en particulier : l’anti-VIH (virus du Sida) Kaletra, avec ou sans l’immunomodulateur interféron-beta, l’anti-Ebola remdesivir (qui agit sur l’ARN) et l’anti-paludéen chloroquine. Le remdesivir a d’ailleurs montré des premiers résultats encourageants dans des travaux publiés dans le New England Journal of Medicine. 68% des 53 patients ayant pris le traitement ont vu leur état s’améliorer, jusqu’à retirer leur assistance respiratoire pour 17 d’entre eux. Dans le même journal, le Kaletra avait montré des résultats négatifs.

Dans beaucoup de cas, il est probable que ces différentes stratégies de traitements devront être associées pour traiter les patients atteints de Covid-19 sévères, par exemple un antiviral en même temps qu’un médicament de contrôle de la réponse immunitaire. Quels que soient les traitements validés dans le futur, il restera le problème de savoir à qui les attribuer. “Pour l’instant, on ne sait pas prédire qui, chez les patients hospitalisés, va développer une réponse immunitaire appropriée ou pas“, ni quels types de traitements leur profiteraient, explique la Pr Florence Adler, coordinatrice de la partie française de l’étude Discovery.

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