Covid-19 : quand un médecin en contamine onze autres lors d’une réunion scientifique – Le Monde

Rhoda Baer © Wikimedia Commons

C’est l’histoire de huit dermatologues et six chercheurs invités en Allemagne par un groupe pharmaceutique à une réunion – un « scientific advisory board » – pour discuter d’un projet de recherche clinique sur un médicament en développement ou du lancement d’un nouveau produit dans leur spécialité. L’article, publié le 11 mai dans la revue en ligne Emerging Infectious Diseases, ne dit rien sur ce point. Il a été rédigé par neuf personnes (huit médecins hospitaliers et un chercheur) présents lors de cette réunion organisée les 20 et 21 février dernier dans un hôtel du centre du Munich.

Ces dermatologues sont venus d’Italie, d’Espagne, du Danemark, de France, de Suède, d’Allemagne et des Pays-Bas. Lors de cette réunion, un spécialiste venu de Lombardie, infecté par le coronavirus SARS-CoV-2 mais asymptomatique, a contaminé onze de ses éminents confrères et consœurs.

La réunion, à laquelle participent également six chercheurs du groupe pharmaceutique, se tient pendant deux jours dans une petite salle d’environ 70 m2. Les discussions durent au total neuf heures et demie. Les participants (dix hommes et quatre femmes) sont tous assis autour d’une table en U. À quatre reprises, des rafraîchissements leur sont servis lors d’un buffet.

Les quatorze participants à ce comité scientifique ont également diné dans un restaurant. Ils se sont serré la main et congratulés, mais il n’y a pas eu d’embrassades. À ce moment-là, aucun participant ne présente le moindre symptôme respiratoire ou signe d’infection. Personne ne tousse, n’éternue. De même, personne n’a de fièvre ou de frissons. En cette fin février, aucun participant ne porte de masque de protection contre le nouveau coronavirus. Et pour cause, on compte alors en Allemagne moins de vingt cas confirmés d’infection au SARS-CoV-2, le nom attribué au nouveau virus par l’Organisation mondiale de la santé quelques jours auparavant (le 11 février).

De retour à Milan le soir du 21 février, le dermatologue italien présente de la fièvre. Quelques heures auparavant, dans le taxi l’amenant à l’aéroport de Munich, il a partagé pendant 45 minutes le même taxi que trois autres médecins, également présents à la réunion. Des prélèvements nasopharyngés et nasaux sont rapidement réalisés. Le lendemain, ils reviennent positifs pour le SARS-CoV-2. Le dermatologue est hospitalisé alors qu’il ne présente qu’une forme modérée de Covid-19.

Quatre jours plus tard, le 26 et 27 février, les autorités sanitaires italiennes informent l’ensemble des participants de la réunion que l’un d’eux est infecté par le SARS-CoV-2. Sur les quatorze personnes, douze vont être testées régulièrement. Les deux autres sont un Allemand, resté asymptomatique, et un Américain qui n’a pu bénéficier d’un test virologique PCR là où il se trouvait. Ce dernier aura droit quelque temps plus tard à un test sérologique qui montrera la présence d’anticorps (IgA et IgG) anti-SARS-CoV2, et qu’il a donc été infecté par le coronavirus.

Chez un participant allemand, le test PCR est resté constamment négatif. Au total, si l’on exclut ces deux patients qui n’ont pas été testés et le patient italien, il s’avère que l’ARN du coronavirus SARS-CoV-2 a été détecté chez dix participants sur les onze testés. A cela, s’ajoute une personne dont la sérologie s’est révélé positive. Le dermatologue italien est donc le patient index, celui-ci ayant contaminé onze personnes.

Quatorze cas secondaires

Tous les participants à la réunion ont été placés en isolement à l’hôpital ou à leur domicile, avec ou sans leur famille, quel que soit le résultat du premier test virologique PCR. Ces personnes ont par la suite contaminé quatorze personnes de leur entourage.

Parmi les onze collègues contaminés par le patient index italien, deux sont restés asymptomatiques, trois ont présenté un syndrome pseudo-grippal et sept ont présenté une altération de leur état de santé mais sans jamais présenter de gêne respiratoire (forme modérée de Covid-19). Aucun participant ne souffrait d’une pathologie préexistante.

Il s’avère que le patient index, un dermatologue de 57 ans, a sans doute été infecté à Milan par un patient examiné le 18 février, trois jours avant de se rendre à la réunion de Munich durant laquelle il n’avait présenté aucun symptôme.

On sait que la période d’incubation du virus SARS-CoV-2, délai qui sépare la contamination de l’apparition des premiers symptômes, est de 5 jours dans la majorité des cas. Or les sujets infectés sont contagieux peu de temps avant l’apparition des symptômes. Publiée le 15 mai dans la revue Nature Medicine, une étude chinoise a estimé que la contagiosité débute environ 2,3 jours (entre 0,8 et 3 jours) avant le début des symptômes et atteint un pic environ 0,7 jour avant leur apparition (entre 0,2 et 2,0 jours).

Poignées de main et entretiens face-à-face

Cherchant à déterminer le mode précis de transmission, les médecins ont identifié que le patient index avait eu un contact rapproché, face à face, avec onze participants au cours de deux déjeuners (d’une durée de 30 minutes), de deux pauses café (de 15 minutes) et du repas de clôture durant lequel il était assis à proximité de quatre participants. Lors des réunions, le dermatologue italien était assis près de deux autres collègues.

Une contamination via des gouttelettes émises par le patient index semble l’hypothèse la plus plausible. L’aérosolisation du virus dans une pièce relativement petite* est cependant possible. En revanche, il semble que la transmission du virus par l’intermédiaire de surfaces inertes infectées soit moins probable dans la mesure où peu d’objets (bouteilles, cafetières) ont été touchés par tous les participants.

La contamination par le coronavirus n’a semble-t-il concerné que les médecins et chercheurs ayant assisté à la réunion. En effet, les auteurs précisent qu’aucun membre du personnel de l’hôtel n’a été testé, aucun n’ayant présenté de symptômes évocateurs de la maladie Covid-19.

Au total, trois participants ont développé une forme légère de Covid-19 et sept une forme modérée de la maladie. Quatre des onze patients ont présenté une perte partielle ou totale d’odorat (anosmie), associée ou non à une perte de goût (agueusie).

Une dernière précision : aucun des dermatologues contaminés n’a présenté de signes dermatologiques associés à l’infection par le SARS-CoV-2.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, sur Facebook)

* Les auteurs ne fournissent aucune donnée sur le mode de ventilation et les flux d’air dans la salle où s’est tenu le scientific advisory board. La pièce était chauffée par des radiateurs conventionnels. Il n’a pas été réalisé de prélèvements environnementaux.

Pour en savoir plus :

Hijnen D, Marzano AV, Eyerich K, et al. SARS-CoV-2 Transmission from Presymptomatic Meeting Attendee, Germany. Emerg Infect Dis. [published online, 2020 May 11];26(8):10.3201/eid2608.201235. doi:10.3201/eid2608.201235

He X, Lau EHY, Wu P, et al. Temporal dynamics in viral shedding and transmissibility of COVID-19. Nat Med. 2020;26(5):672‐675. doi:10.1038/s41591-020-0869-5

Qian G, Yang N, Ma AHY, et al. A COVID-19 Transmission within a family cluster by presymptomatic infectors in China. Clin Infect Dis. [published online, 2020 Mar 23];ciaa316. doi:10.1093/cid/ciaa316

Tong ZD, Tang A, Li KF, et al. Potential Presymptomatic Transmission of SARS-CoV-2, Zhejiang Province, China, 2020. Emerg Infect Dis. 2020;26(5):1052‐1054. doi:10.3201/eid2605.200198

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