Fac, bureau, maisons de retraite… où attrape-t-on vraiment le Covid-19 ? – Le Parisien

Où et comment a-t-on le plus de risque d’attraper le Covid-19? Est-ce vraiment sur son lieu de travail, comme semble l’indiquer le dernier bilan épidémiologique de Santé publique France, l’organisme qui recense les clusters? Les restaurants, même soumis désormais à de très fortes restrictions, sont-ils vraiment des nids à virus? Les courses en grande surface sont-elles à bannir, en raison de systèmes de climatisation qui pourraient favoriser la propagation du virus?

Depuis le début de l’épidémie, ces questions taraudent, légitimement, tout un chacun, sans guère de réponses très claires. Et pour cause… Il y a comme un trou dans la raquette. « Aucune étude en France n’a encore été lancée pour comprendre ce qui peut favoriser l’exposition au Covid-19. Pour l’instant, on se base sur des études réalisées à l’étranger. Avion, restaurants… certaines pointent effectivement d’éventuels lieux ou situations à risque, mais ce ne sont que des hypothèses, on n’a toujours pas de réelles certitudes », explique Michèle Legeas, enseignante à l’Ecole des hautes études en santé publique.

Pour cette experte, il devient urgent de creuser la question : « C’est un enjeu de santé publique majeure. Les gens sont perdus, ils ont besoin de réponses concrètes. Si on veut qu’ils continuent d’observer avec la même discipline le port du masque, les mesures de distanciation, il faut qu’ils comprennent pourquoi on leur demande un tel effort. »

L’entreprise, lieu numéro 1 ?

C’est au sein des entreprises donc qu’on trouve, selon les chiffres officiels, le plus grand nombre de clusters, c’est-à-dire le plus grand nombre de groupes de cas de personnes infectées (24, 9 %), assez loin devant les facs et le milieu scolaire (19,5 %) et le cercle familiale ou amicale (18 %). Sauf que ces clusters ne disent pas grand-chose du mode d’exposition au virus : « Quand on détecte que, dans une école, cinq élèves sont touchés, cela ne dit pas comment ces élèves ont attrapé le Covid-19, ni où. Cela a pu se passer à l’école mais aussi ailleurs », décrypte Michèle Legeas.

Autre hic : le recensement est aléatoire. « Il dépend de la rapidité dont sont effectués les tests de dépistage. Or le système bouchonne toujours. Pour toutes ses raisons, les clusters ne peuvent donc pas être considérés comme un indicateur de la situation épidémiologique », abonde Mircea Sofonea, maître de conférences en épidémiologie des maladies infectieuses à l’université de Montpellier.

Fac, bureau, maisons de retraite… où attrape-t-on vraiment le Covid-19 ?

Comment alors protéger efficacement la population maintenant qu’on est parti pour « vivre avec » ? Dans son dernier avis, le conseil scientifique, instance chargée d’éclairer le gouvernement, ne cachait son inquiétude face à ce manque de données. « La connaissance du lieu d’infection est très importante pour déterminer les interventions à mettre en place pour lutter contre l’extension de l’épidémie », pointent ses membres.

Et d’alerter : « Actuellement, en France, en dehors des clusters, il n’est pas possible d’identifier le lieu d’infection des cas, faute de données disponibles. Hors clusters, il est urgent que débutent des études opérationnelles sur ce sujet. » « A Wuhan, en Chine, en moyenne une personne contaminée en a infecté 2. En France, une personne en contamine près de 3. C’est bien le signe qu’il se passe chez nous quelque chose de spécifique », remarque Mircea Sofonea.

Pour ce chercheur, c’est simple, on a raté le coche : « Dès le début de l’épidémie, il aurait fallu lancer des enquêtes de terrain. Par exemple, voir comment les choses se passaient dans deux communes de même taille mais avec des spécificités différentes : l’une dotée par exemple de certains types de commerce, l’autre pas. L’une où le dépistage aurait été systématique, l’autre pas. Des équipes de recherche ont proposé de mener ce genre de travaux. Hélas, faute d’argent, cela n’a pas abouti et cela nous handicape maintenant dans le contrôle de l’épidémie et l’acceptabilité des mesures imposées », déplore-t-il.

« Maintenant, il faut agir »

Michèle Legeas, elle, se refuse de jeter la pierre. « On peut comprendre que les autorités sanitaires aient été prises par l’urgence mais maintenant il faut agir », insiste-t-elle. Selon elle, c’est sans doute du côté de nos codes sociaux qu’il faut regarder. C’est sur la base d’une étude américaine que la décision a été prise par Olivier Véran, le ministre de la Santé, de fermer de fermer les bistrots et les restaurants. « Mais se comporte-t-on de la même façon dans un bar en France, comme on le fait aux Etats-Unis? », s’interroge Michèle Legeas, curieuse aussi de comprendre pourquoi il y a toujours autant de clusters détectés en entreprise au fil des semaines.

« Peut-être faudrait-il aller voir du côté des fumeurs et des zones qui leur sont dédiées, suggère-t-elle. Quand on fume, on enlève forcément le masque. En fait, au travail, quand on y réfléchit, il y a plein de moments où on l’enlève ; pour manger, aller aux toilettes, mieux aussi se faire comprendre d’un collègue », remarque-t-elle, pressée comme tous d’y voir plus un peu plus clair.

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