Covid-19 : ces nombres montrant la « probabilité de survie » des personnes infectées sont trompeurs – Le Monde

Ce que disent les publications

Un visuel relayé sur Facebook depuis début octobre assure montrer la « probabilité de survie d’une personne atteinte [du] Covid-19 ». Il indique que les personnes infectées âgées de 0 à 19 ans auraient par exemple 99,997 % de chances de survivre au virus, contre 94,6 % pour les malades de 70 ans et plus. La publication prend comme source l’agence américaine pour la santé des Centers for Disease Control (CDC).

Le message, qui se veut rassurant, interroge alors : « Pourquoi continuer à véhiculer cette peur ? » Dans les commentaires, plusieurs internautes se servent de ces chiffres pour fustiger des mesures sanitaires qu’ils jugent disproportionnées par rapport au risque encouru en cas d’infection.

Pourquoi c’est trompeur

D’où viennent ces nombres ?
Ces nombress, qui circulaient à l’origine dans des publications en anglais, sont effectivement calculés à partir d’un document de planification, publié en mai par les Centers for Disease Control (CDC) et mis à jour le 10 septembre. Celui-ci comprend une série d’estimations sur le Covid-19 destinées à aider les autorités sanitaires américaines dans leurs prises de décisions.

Le document dévoile cinq scénarios de l’évolution de la pandémie aux Etats-Unis. Les nombres relayés sur cette publication Facebook se fondent sur le cinquième scénario, présenté comme la « meilleure estimation actuelle ».

Capture d'écran prise le 8 octobre sur le site de l’agence américaine pour la santé des CDC.

Ses données montrent des taux de létalité par classe d’âge, c’est-à-dire le « nombre d’individus qui meurent de la maladie parmi tous les individus infectés (symptomatiques et asymptomatiques) », indiquent les CDC. Ce taux est, par exemple, de 0,054 (soit 5,4 %) pour les personnes de 70 ans et plus. Le message publié par les réseaux sociaux reprend donc ce chiffre à l’envers, en calculant un taux de survie de la manière suivante : 100 – 5,4 = 94,6 %.

Des estimations, pas des prédictions

Mais les CDC précisent que les nombres sur lesquels se fonde la publication sont seulement des « estimations » parmi plusieurs scénarios possibles, et non des « prédictions de l’impact attendu du Covid-19 », ni des calculs faits a posteriori.

Ces estimations sont aussi variables en fonction du territoire et des politiques de santé publique mises en place

Par ailleurs, ces taux de létalité sont des moyennes, rappellent les épidémiologistes interrogés. Ils ne tiennent pas compte des antécédents médicaux de chaque personne, qui peuvent augmenter de manière significative le risque de décès. Après 70 ans, les nombres des CDC ne font pas non plus de distinction par classe d’âge. « Ils devraient préciser que les risques augmentent considérablement à partir de 85 ans, et encore plus à partir de 90 ans, avec une létalité qui peut même atteindre 25 % selon les zones », explique Pascal Crépey, épidémiologiste et enseignant-chercheur à l’Ecole des hautes études en santé publique de Rennes. Ces estimations sont aussi variables en fonction du territoire et des politiques de santé publique mises en place.

Enfin, le document des CDC n’inclut pas le nombre de personnes en réanimation, ou celles qui ont survécu au Covid-19 mais gardent des séquelles.

Une question d’interprétation

« Est-ce que vous prendriez un avion si on vous disait qu’il a 5,4 % de probabilité de se crasher ? » demande Nicole Garnier

Si la probabilité de mourir du virus peut paraître relativement faible au regard des nombres de la publication, qui montrent « le verre à moitié plein », elle reste cependant importante, rappellent les épidémiologistes. « Un taux de survie de 94,6 % chez les plus de 70 ans donne un taux de létalité de 5,4 %, souligne Nicole Garnier, professeure agrégée de mathématiques. Est-ce que vous prendriez un avion si on vous disait qu’il a 5,4 % de probabilité de se crasher ? »

Réfléchir à ses chances de survie de manière individuelle biaise notre jugement, ajoute Pascal Crépey. « Lorsqu’on traduit au niveau de la population totale, l’image que cela donne est différente. Si on se dit que 60 % de la population risque d’être infectée avant que l’épidémie s’arrête en France, cela fait 40 millions de Français touchés, note le scientifique. Or, 1 % de ce chiffre équivaut à 400 000 morts, avec toujours 99 % de survivants. »

Des estimations biaisées par les mesures de contrôle

Les estimations du CDC sont biaisées, selon Marisa Peyre, épidémiologiste au Cirad, car elles « sont basées sur des situations où on est déjà dans un contrôle de la maladie : or, comme on limite la propagation du virus, on limite le taux d’infection et donc sa létalité ». Ce sont justement les mesures sanitaires (masque, distanciation physique, etc.) mises en place qui ont permis de limiter le taux de létalité.

« Si les systèmes de soins viennent à être saturés, les taux de létalité seront bien plus élevés », rappelle Pascal Crépey

« Le message disant que ça ne sert à rien de contrôler une maladie qui n’est pas très mortelle est dangereux s’il est suivi, car il amène à ce que la maladie soit encore plus mortelle », prévient Pascal Crépey. En effet, ces nombres sont à mettre en perspective avec les capacités de prise en charge des hôpitaux. « Si les systèmes de soins viennent à être saturés, les taux de létalité seront bien plus élevés, et il faudra alors ajouter les décès de patients n’ayant pas pu être pris en charge car des malades du Covid-19 occupaient les lits », poursuit l’épidémiologiste.

En outre, ce n’est pas parce qu’une maladie est relativement peu mortelle qu’elle n’est pas problématique, rappelle Marisa Peyre. « En comparaison, le Covid-19 a déjà fait plus de morts que la malaria, l’une des maladies qui tuent le plus au monde, alors que nous sommes dans une situation de contrôle à l’échelle mondiale », alerte l’épidémiologiste. A la date du 12 octobre, la pandémie a causé plus de 1,1 million de morts dans le monde.

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