Connaîtra-t-on un jour les origines du Covid-19 ? – L’Express

Il y a une semaine, l’OMS publiait son rapport sur les origines du Covid-19. À travers le monde, des dizaines de scientifiques de premier plan scrutaient chaque ligne d’un document de quelque 300 pages écrit conjointement par l’équipe d’experts internationaux et des chercheurs chinois. Rapidement, l’enthousiasme laisse place au désespoir. Ce rapport entretient le flou. Dans une lettre ouverte publiée le 7 avril dans le New York Times, une équipe de 24 scientifiques de premier plan juge que des enquêtes plus rigoureuses sont nécessaires – avec ou sans la participation de Pékin. Elle affirme notamment que “les échantillons biologiques qui pourraient fournir des informations essentielles sur les origines de la pandémie restent inaccessibles”, et appellent l’OMS à mener une véritable enquête indépendante. 

Plus d’un an après le début d’une pandémie qui a fait près de 3 millions de morts, une question demeure : connaîtra-t-on un jour la vérité sur les origines du SARS-CoV-2 ? “Je ne sais pas si nous le découvrirons en fin de compte, mais ce serait une terrible tragédie si nous n’obtenions pas ces informations essentielles en raison de considérations politiques et géopolitiques au détriment de la complexité scientifique”, affirme à L’Express Jamie Metzl, chercheur à l’Atlantic council, membre du comité consultatif de l’Organisation mondiale de la santé et ancien collaborateur de Joe Biden. À l’heure actuelle, l’optimisme n’est pas de mise. Le rapport publié le 30 mars dernier favorise deux hypothèses : la transmission du virus d’un animal réservoir (probablement la chauve-souris) à l’Homme par l’intermédiaire d’un autre animal ; et la transmission par de la viande surgelée, piste défendue par Pékin. En revanche, il balaie l’idée selon laquelle le virus aurait pu s’échapper d’un laboratoire de virologie de Wuhan, épicentre de l’épidémie.  

Mais les conditions dans lesquelles ce rapport a été rédigé interrogent. Attendu durant de longues semaines, il a souffert d’allers-retours incessants entre Pékin et Genève, le siège de l’OMS. Car il devait être validé par la Chine et la douzaine d’experts internationaux avant d’être adopté. “Chaque ligne et chaque mot ont dû être validés par la Chine”, nous précise Gilles Demaneuf, data-analyste au sein de DRASTIC, une équipe internationale de scientifiques tentant de combler les lacunes sur les origines du Covid. Les enquêteurs internationaux étaient “chaperonnés” par une soixantaine de scientifiques chinois, et ils n’ont pas eu accès à de nombreuses informations. Après la publication du rapport, les Etats-Unis et 13 pays alliés, dont le Royaume-Uni, Israël et le Canada, ont réclamé à la Chine de donner “pleinement accès” à ses données. L’UE, de son côté, a pointé du doigt “le démarrage tardif de l’enquête, le retard dans le déploiement des experts (en Chine) et la disponibilité limitée des spécimens et données” remontant aux débuts de la pandémie.  

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“Culture du secret”

Il faut dire que Pékin concentre tous ses efforts pour éviter toute mention d’une origine chinoise du Covid-19. Depuis plusieurs mois, les dirigeants de l’Empire du milieu s’échinent à fabriquer du doute. Après avoir accusé les États-Unis d’avoir importé le virus en Chine lors des Jeux militaires de septembre 2019, le régime privilégie désormais l’importation de viande contaminée sur son sol. Une hypothèse “un peu tirée par les cheveux”, pour Gilles Demaneuf, mais jugée “possible” par le rapport de l’OMS. Ce document mentionne également les deux coronavirus les plus proches du SARS-CoV-2 – c’est-à-dire RaTG13 et RmYN02 -, mais il se fait discret sur leur origine. À l’inverse, toutes les autres mentions d’autres virus proches, bien que moins probants, font état de l’origine géographique des échantillons : Cambodge, Thaïlande…  

Les conditions de la découverte du fameux RaTG13 ne sont pas mentionnées dans le texte lui-même, mais dans ses annexes. Il avait été découvert en 2013, sur une chauve-souris rhinolophe, dans une mine désaffectée de la province du Yunnan (sud de la Chine). Des prélèvements y avaient été effectués, par les chercheurs de l’Institut de virologie de Wuhan (WIV), après que six travailleurs eurent contracté une grave pneumopathie (trois en sont morts) en travaillant dans les galeries, en 2012. Le 17 novembre 2020, dans un addendum à l’un de leurs articles publié par Nature, les chercheurs du WIV avaient expliqué avoir collecté dans cette mine, outre RaTG13, huit autres virus de type SARS-CoV, dont les séquences génétiques ne sont toujours pas publiées. Pourtant, l’annexe du rapport de l’OMS ne mentionne pas ces autres virus : “L’équipe de la professeure Shi [directrice du laboratoire de haute sécurité du WIV] est retournée sur place environ sept fois entre 2012 et 2015, pour chercher de nouveaux virus, lit-on dans l’annexe. Ils n’ont trouvé aucun virus proche des SARS-CoV(…)”. L’expertise semble donc contredire ce qu’ont écrit, dans Nature, les chercheurs du WIV. 

L’accès à cette mine est devenu un enjeu de sécurité nationale en Chine. Une équipe de la BBC, mais aussi de l’émission Envoyé Spécial, n’a pas réussi à s’en approcher. Et les enquêteurs de l’OMS n’ont pas eu plus de chance. “Le problème est la culture du secret en Chine. Ce pays cache les choses, même s’il n’y a rien à cacher”, affirme Mary-Françoise Renard, responsable de l’Institut de recherche sur l’économie de la Chine du Centre d’études et de recherches sur le développement international. Mais si le RaTG13 est à ce jour le virus le plus proche qu’on connaisse du Sars-CoV-2, il ne lui correspond qu’à 96%. “Or 4 % de différence sur un génome de 30 000 nucléotides, c’est beaucoup. Cela représente des années d’évolution”, explique Etienne Decroly, virologue au CNRS. Quelque 1200 nucléotides séparent les deux virus. Autrement dit, le SARS-CoV-2 ne descendrait pas du RaTG13. Il s’agirait plutôt de deux cousins qui ont divergé d’un même ancêtre commun il y a quarante à soixante-dix ans, selon les spécialistes. 

“Ce travail mériterait à n’importe quel étudiant d’être recalé, même avec toute la bonne volonté du monde”

Une autre hypothèse fait frémir les autorités chinoises : la fuite accidentelle d’un laboratoire de virologie de Wuhan. Si le rapport juge cette possibilité “extrêmement improbable”, certains scientifiques la considèrent désormais comme plausible. À l’instar du patron de l’OMS en personne, qui a sidéré tous les observateurs en déclarant le 30 mars que la conduite d’une enquête spécifique sur l’hypothèse d’un accident de laboratoire chinois était nécessaire. “Le rapport est absolument ridicule dans sa superficialité et ses erreurs en ce qui concerne l’hypothèse d’une fuite d’un laboratoire. Ce travail mériterait à n’importe quel étudiant d’être recalé, même avec toute la bonne volonté du monde”, tonne de son côté Gilles Demaneuf. Même si l’équipe a visité l’Institut de virologie de Wuhan et envisagé l’hypothèse d’un incident de laboratoire, “je ne pense toutefois pas que cette évaluation ait été suffisamment approfondie”, a dit le patron de l’OMS. Les Américains ont à plusieurs reprises souligné que cette équipe ne comportait pas de spécialiste capable d’évaluer la sécurité des laboratoires. 

De l’importance de résoudre cette énigme

Un an après le début de la pandémie, le combat se poursuit pour trouver ses origines. “Il ne s’agit pas de se liguer contre la Chine, mais de prévenir de nouvelles épidémies, précise Jamie Metzl. Notre sécurité future dépend de la compréhension des origines de cette pandémie. L’absence de réponse terrifie tout le monde. C’est la volonté de la Chine de cacher des choses, de dissimuler et détruire les preuves qui ont rendu la compréhension de l’origine de cette pandémie extrêmement difficile”. Car résoudre cette énigme pourrait avoir des conséquences concrètes dans les prochaines années. “Si la communauté internationale fait l’impasse, le risque est qu’on se retrouve dans une situation similaire assez rapidement”, juge pour sa part le virologue Etienne Decroly. “Connaître les origines du Covid est important pour les épidémies futures. Si nous savons quels scénarios se sont réalisés, nous pourrons agir plus rapidement et efficacement à l’avenir”, analyse Alina Chan, biologiste au Broad Institute du MIT.  

Pour Gilles Demaneuf, l’OMS joue sa crédibilité avec cette enquête : “L’incapacité de l’organisation d’enquêter proprement sur les accidents de laboratoires lors de l’épidémie de SRAS en 2004 et son manque de volonté de pousser la Chine à plus de transparence à l’époque, ont sans doute prouvé aux dirigeants chinois qu’ils pouvaient manipuler l’OMS sans conséquences”. 

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