Origines du Covid-19 : ce que nous apprennent (ou pas) les dernières découvertes – L’Express

La recherche des origines du SARS-CoV-2 se poursuit. Près de deux ans après l’apparition du virus responsable de la pandémie de Covid-19, des scientifiques de l’Institut Pasteur, à Paris et au Laos, ainsi que de l’université du Laos, ont découvert des nouveaux coronavirus très proches sur SARS-CoV-2. Dans un article publié le 17 septembre sur Research Square, site de prépublication des revues du groupe Nature, les chercheurs mettent en avant une “avancée majeure” réalisée grâce à des prélèvements sur plusieurs centaines de chauves-souris dans le nord du Laos, près de la frontière chinoise. “Cette découverte très importante ne clôt pas les interrogations, mais cela montre qu’en multipliant les analyses on peut lever des parts d’ombre qui demeurent sur cette question cruciale des origines du Covid-19”, commente à L’Express Etienne Decroly, virologue à l’université d’Aix-Marseille. 

Origine zoonotique ou accident de laboratoire ? La question reste encore sans réponse, mais cette étude prouve une nouvelle fois que le virus responsable du Covid-19 partage une proximité génétique avec des coronavirus hébergés chez des chauves-souris insectivores, celles du groupe des Rhinolophus. Les chercheurs de l’Institut Pasteur se sont donc intéressés à une région faisant partie d’un immense relief karstique, des formations géologiques principalement constituées de calcaire, qui abrite d’immenses colonies de chauves-souris. “Le Laos partage ce territoire commun avec le sud de la Chine, comprenant de très nombreuses grottes où vivent ces animaux, d’où l’idée d’étudier les virus qu’ils hébergent”, explique à L’Express Marc Eloit, responsable du laboratoire “découverte de pathogènes” à l’Institut Pasteur à Paris, dont les équipes ont analysé les différents prélèvements collectés. Car ce qui s’y passe est représentatif de cet écosystème commun avec le Yunnan. 

Conclusions des analyses de l’Institut Pasteur : les séquences de virus trouvées chez les chauves-souris sont très proches de celles du SARS-CoV-2 et les chercheurs ont pu démontrer leur capacité à permettre aux virus de rentrer dans les cellules humaines. Le génome de l’un de ces virus, baptisé BANAL-52, présente même une identité de 96,85% avec le SARS-CoV-2. Il n’est donc pas son progéniteur direct, mais un cousin. Jusqu’à présent, le coronavirus le plus proche de celui-ci était une souche baptisée RaTG13, dont la séquence génétique complète présente une identité de 96,2% avec le SARS-CoV-2. Il avait été isolé en 2013 dans une mine de cuivre du Yunnan, au sud-ouest de la Chine, par des chercheurs de l’Institut de virologie de Wuhan (WIV), la ville où la pandémie de Covid-19 s’est déclarée fin 2019. Problème : RaTG13 diffère du SARS-CoV-2 sur un point crucial. Il ne possède pas les caractéristiques qui donnent au virus responsable de l’épidémie sa capacité de liaison aux cellules humaines. Il s’agit d’un morceau de la protéine Spike. L’attachement de cette protéine au récepteur ACE2 présent à la surface des cellules humaines constitue la première étape du processus infectieux. La sous-région de la protéine Spike entrant en contact avec le récepteur ACE2 est dénommée “RBD” (Domaine de liaison au récepteur). “Or, trois des virus que nous avons découvert au Laos possèdent un RBD capable de se lier au récepteur ACE2 avec une haute affinité, similaire à celle des premières souches de SARS-CoV-2 isolées au début de l’épidémie”, explique Marc Eloit. 

“Il peut donc exister dans cette région des virus encore plus proches du SARS-CoV-2, dont certains pourraient posséder ce site furine”

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Qu’est-ce que tout cela signifie ? Tout simplement que ces virus BANAL peuvent infecter les humains sans hôte intermédiaire. Pour autant, il reste un point crucial à élucider. Il manque dans le génome des virus identifiés au Laos une séquence dénommée “site de clivage de la furine”, que possède en revanche le SARS-CoV-2. Cet élément joue un rôle majeur dans la fusion entre la membrane du virus et celle des cellules humaines. Autrement dit, il permet au virus de mieux entrer dans les cellules humaines et son existence conditionne le pouvoir pathogène du virus. Pour résumer, cette découverte prouve qu’il existe dans cette zone géographique – entre le sud de la Chine et le nord de la péninsule indochinoise – des coronavirus capables d’infecter les humains, sans pour autant être pathogènes. “Il peut donc exister dans cette région des virus encore plus proches du SARS-CoV-2, dont certains pourraient posséder ce site furine. Celui-ci a également pu être acquis lors d’une circulation initiale, non identifiable car asymptomatique, chez l’Homme ou une autre espèce”, affirme Marc Eloit. 

“Plus complexe qu’attendu”

En clair, l’hypothèse d’une origine naturelle du virus sort renforcée, mais cette découverte ne peut exclure définitivement la piste qui mène à l’Institut de virologie de Wuhan. “Cela prouve que le virus a la capacité de franchir la barrière des espèces, en passant directement de la chauve-souris à l’homme. Il aurait ensuite circulé à bas bruit durant plusieurs années dans le sud-ouest de la Chine avant de muter et de déborder à Wuhan, qui ne serait alors que le lieu de superpropagation”, indique à L’Express Jean-François Julien, écologue et spécialiste des chauves-souris au Muséum d’histoire naturelle de Paris. Tout cela étant, bien entendu, au conditionnel. Car le chemin qui mène le SARS-CoV-2 de cette région calcaire aux travées des marchés de Wuhan est toujours inconnu.  

Plusieurs hypothèses sont encore sur la table. Le virus a pu, malgré ces découvertes, passer par une espèce intermédiaire entre les chauves-souris et l’homme. Mais elle n’a toujours pas été identifiée, malgré de nombreux prélèvements. Il est tout aussi possible qu’une contamination directe soit à l’origine de la pandémie, loin de Wuhan. Selon une étude récente pré-publiée sur le serveur MedXriv, environ 400 000 personnes seraient infectées chaque année par un coronavirus de type SARS-CoV, directement par une chauve-souris. D’autant que, dans cette région, des habitants utilisent des fientes de chauves-souris comme engrais. Ces animaux sont également chassés pour être mangés. “Imaginez que des hommes entrent dans ces grottes, pour ramasser du guano par exemple, note Jean-François Julien. Les rhinolophes ont la particularité d’émettre des ultrasons par les narines. En voyant ces intrus, 20 000 individus affolés se mettent à hurler et vaporisent une quantité phénoménale de virus”. Des cas de contaminations à la fièvre de Marburg par des chauves-souris ont déjà été constatés alors que les humains se tenaient simplement en dessous de la colonie, respirant ainsi les virus expirés par les petits mammifères. 

“Ces virus source peuvent avec un historique différent, ce qui rend difficile la traque des origines”

Autre enseignement de la découverte des chercheurs de Pasteur : à la lumière des génomes complets de cinq coronavirus BANAL identifiés, celui du SARS-CoV-2 se révèle être une véritable mosaïque. Il est en fait le fruit de la recombinaison d’au moins cinq génomes de coronavirus hébergés par différentes espèces de chauves-souris. Il aurait donc pu émerger à partir de plusieurs virus, et non d’un ancêtre unique. “Ces virus source peuvent avoir un historique différent, ce qui rend difficile la traque des origines”, précise Marc Eloit. “Pour continuer cette recherche, il nous faut plus de prélèvements chez les animaux, mais aussi des analyses sérologiques des habitants de ces zones géographiques antérieures au début de l’épidémie”, détaille le chercheur. S’il était avéré que ces virus circulaient déjà avant décembre 2019, l’hypothèse d’une contamination naturelle serait confortée. Mais pour écrire toute l’histoire, il faudrait étudier les vastes reliefs calcaires de l’autre côté de la frontière laotienne. Malgré des échantillonnages, aucun virus si proche n’a pourtant été trouvé dans le Yunnan.  

La thèse d’une fuite de laboratoire pas écartée

En attendant, la thèse d’une fuite accidentelle d’un laboratoire ne peut être définitivement écartée. Un scientifique aurait ainsi pu être contaminé sur site lors d’un prélèvement, ou même dans un laboratoire avant de répandre la maladie. “Les tenants de la transmission animale voient dans l’étude de Pasteur la preuve de contaminations directes répétées entre les chauves-souris et les humains. Les tenants de la théorie du laboratoire disent, eux, qu’elle n’explique en rien comment ce virus est arrivé à Wuhan à une période où les chauves-souris hibernent à des milliers de kilomètres de là, d’autant que les virus BANAL ne possèdent pas de site furine”, précise Etienne Decroly. Rapidement après le déclenchement de l’épidémie, des virologues ont ainsi émis l’hypothèse que la présence du site furine chez le SARS-CoV-2 – qu’on n’a jamais retrouvé chez un coronavirus de chauve-souris proche de celui-ci – pourrait indiquer qu’il a été modifié génétiquement. 

Cette thèse est accentuée par la présence du WIV à Wuhan. “C’est une coïncidence troublante, c’est certain, mais cette ville est énorme et très connectée avec le sud de la Chine. Et la vente d’animaux exotiques y est très développée”, tempère Jean-François Julien. Reste que des éléments interrogent. Notamment les secrets qui entourent les travaux menés au WIV durant les années qui ont précédé le déclenchement de la pandémie. Parfois en accord avec les Etats-Unis. Selon un article paru le 7 septembre sur le site The Intercept, l’ONG EcoHealth – financée par des subventions fédérales américaines – a fait réaliser un certain nombre d’études sur les coronavirus de chauve-souris par l’Institut de virologie de Wuhan. Or, ces fonds auraient permis de réaliser des expériences dites de “gain de fonction” sur ces coronavirus, alors même que les Instituts nationaux de la santé (NIH) américains ont toujours contesté avoir subventionné de telles études. Il convenait en réalité de rendre plus virulents de tels virus pour les étudier et prévenir l’apparition d’une potentielle pandémie. Si aucun des virus cités dans ces documents n’est proche génétiquement de SARS-CoV-2, cela prouve que de telles expériences étaient menées à Wuhan. Et le voile n’est pas encore totalement levé sur l’étendue des recherches qui y étaient conduites, alimentant également les soupçons sur ce laboratoire.  

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