Covid-19 : la cinquième vague de fake news est bien là, par le Pr Gilles Pialoux – L’Express

La remontée actuelle du nombre de cas en France ne sera-t-elle qu’une vaguelette hivernale ou annonce-t-elle une nouvelle vague ? Est-elle le signe du passage de la phase pandémique à une épidémie saisonnière ? Nul ne sait encore. Mais une certitude : la cinquième vague de fake news et de chiffres instrumentalisés, elle, est bien active. Pour en sonder l’ampleur on peut – ce n’est qu’un exemple – revoir une émission comme “L’Heure des Pros” sur CNews diffusée ce jeudi 11 novembre.  

La cible du jour était le ministre de la Santé Olivier Véran, qui avait déclaré la veille sur TF1 que “cela ressemble à une cinquième vague”. Mais selon CNews, tout cela n’est que “politique de la peur”, chiffre “officiel” à l’appui : “le Covid a été responsable de 2 % des hospitalisations en 2020”. Pourcentage qui atteste combien les chiffres peuvent être manipulés, instrumentalisés, déformés, minorés, idéologisés. Ce “+ 2 %” peut apparaître insignifiant – surtout comparé au + 241 % d’augmentation des parts d’audience durant la crise du Covid pour l’émission suscitée. Plus encore, il peut sembler disproportionné au regard des mesures coercitives prises (confinements, “cinquante nuances de mesures”, couvre-feux, passe sanitaire, obligation vaccinale…) et de l’impact sur l’économie (rattrapé) ou sur la santé mentale des Français (indiscutable). 

Revenons à la source : l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH), qui révèle dans un rapport de 26 pages que “près de 218 000 patients Covid ont été hospitalisés l’an passé” soit, effectivement, “deux pour cent de l’ensemble des patients hospitalisés en 2020 (tous champs hospitaliers confondus)”. L’ATIH précise au passage, chiffres moins sujet à la gaudriole, qu’une journée sur cinq de réanimation a été consacrée au Covid et qu’un patient Covid sur cinq est décédé au cours de son hospitalisation en 2020 (soit 44 091 décès hospitaliers et 11% des décès). 

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Le totem du “Tout cela pour ça”

Alors comment ce “+2 %” est-il instrumentalisé ? En l’utilisant pour asséner “qu’on a donné l’impression que les services étaient pleins à craquer”, et en l’agitant comme le totem du “tout cela pour ça !”, comme énoncé sur le plateau par une psychologue clinicienne libérale, habituée de ce type d’émissions. Réponse en quatre points : 1) Ce chiffre de 2% est une moyenne lissée : sur le territoire national, sur l’ensemble des services – les patients Covid arrivent rarement en gynécologie, psychiatrie ou chirurgie – mais aussi sur l’ensemble de l’année 2020, comme le montre le rapport. Or s’il est une pandémie qui a connu des disparités spatiotemporelles, c’est bien le Covid. Si bien qu’à agglomérer les données, on perd le fil de sa violence qui a justifié bien des mesures prises par l’exécutif. Le remplissage hospitalier, la tension sur les réanimations, la déprogrammation opératoire lors de la première vague, au pic de mortalité le plus élevé, et durant la seconde, avec plus de morts encore, n’ont pas été les mêmes à Rennes qu’à Paris, en avril ou juillet 2020. 2) Aux pics certains hôpitaux ont vu leur capacitaire envahi par le Covid de plus de 35 % – bien loin des 2 % – avec plus de 150 % d’occupation par des patients Covid en réanimation. C’est précisément le cas de l’hôpital où je travaille. 3) Ce “+2%” lissé sur l’année est venu se rajouter à un taux d’occupation des lits dont les règles de financement de l’hôpital public (T2A) imposent le 100 %. Que fait-on à 102 % d’occupation ? Et à 135 % ? On pousse les murs et on déprogramme. Ce qui fut fait est en passe d’être refait faute de personnels. 4) Ce + 2 % est la résultante des hospitalisations COVID, en plus, et des non-COVID, en moins, pour cause de soins différés ( -13% par rapport à l’année 2019 selon le rapport de l’ATIH). 

Quittons ce “+ 2%” pour d’autres interprétations fallacieuses qui courent actuellement. L’exemple de l’Allemagne, après celui d’Israël, alimente l’idée qu’il y aurait plus de cas positifs depuis que la vaccination est majoritaire… Comme une relation de cause à effet. La réponse est là aussi simple : plus la vaccination – qui n’empêche pas la contamination mais la réduit – et plus l’épidémie progressent, plus le nombre de malades augmente parmi les vaccinés qui finissent même par devenir majoritaires. Dans un scénario inatteignable où 100% de la population serait vaccinée par un vaccin qui ne protège pas à 100 % des formes graves, de l’hospitalisation ou des décès : 100% des malades et 100% des morts se retrouveraient parmi les vaccinés. Là encore chiffre contre-intuitif et manipulable.  

Autre exemple martelé par certains polémistes ces derniers jours : “on nous bassine pour une incidence de 76 pour 100 000 habitants, soit 0, 0076 % des Français infectés chaque jour !”. Alors même que les tests non remboursés ont fait chuter le dépistage. Là aussi, vingt mois de crise sanitaire n’ont pas permis d’intégrer le mot “exponentiel”. Qu’importe le chiffre, c’est la cinétique qui compte. Pour se convaincre de la force du mot, il suffit d’écouter la chancelière allemande dans sa leçon de mathématiques appliquées lors d’une conférence de presse à Berlin, le 21 juillet dernier : “Nous avons une croissance exponentielle (…) Nous devons supposer que nous aurons un doublement en moins de 2 semaines du nombre de nouvelles infections”. C’est dire comme l’écrivait un autre allemand célèbre combien “le diable se trouve dans le détail”.  

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Le Pr Gilles PIALOUX est chef de service des maladies infectieuses à l’hôpital Tenon (AP-HP) à Paris (XXe). Membre du collectif PandemIA et du pôle santé de Terra Nova, il est également l’auteur de “Nous n’étions pas prêts. Carnet de bord par temps de coronavirus” (éd. JC Lattès). 

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