Covid-19 : les zones d’ombre de l’enquête sur les vraies origines du coronavirus – La Tribune

Si on est loin de savoir où le SARS-CoV-2 nous mènera, on n’est pas plus avancés pour déterminer d’où il vient. Depuis deux ans, toutes les recherches menées sur le sujet n’ont pas réussi à définir comment ce virus est apparu. Depuis la Chine qui évoquait un virus sorti d’aliments surgelés jusqu’aux complotistes imaginant une arme biologique élaborée par une organisation terroriste ou un État malveillant, les histoires ne manquent pas.

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Après les fake news de Donald Trump, Joe Biden, son successeur à la présidence américaine, a demandé en mai dernier aux services de renseignement de “redoubler” leurs efforts pour déterminer l’origine de la maladie. Et une dizaine de courriels de l’Institut national américain de la santé (NIH) viennent de montrer que la piste d’un virus échappé d’un laboratoire de Wuhan était envisagée par différents scientifiques au départ de la pandémie. Mais comment ce virus – qui vient sans doute d’une chauve-souris – est-il parvenu jusqu’aux humains ?

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 80.000 prélèvements réalisés en Chine

L’origine du SARS-CoV-2 reste un mystère, comme le souligne Étienne Decroly, directeur de recherche au CNRS travaillant sur l’émergence de coronavirus :

« Deux hypothèses s’affrontent : celle d’une zoonose venant de chauves-souris et dont on n’a toujours pas trouvé l’hôte intermédiaire, ou bien celle d’une contamination de laboratoire à partir de virus collectés dans la nature et étudiés. Pour les précédentes épidémies coronavirus de SARS CoV-1 et de MERS, on avait rapidement identifié la chaîne de contamination de la chauve-souris aux humains. Mais pas cette fois. Sur les 80.000 prélèvements effectués par la commission conjointe OMS-Chine, aucun n’a permis d’identifier le virus qui serait à l’origine du SARS CoV-2 et que nous appelons le “progéniteur” ! ».

Autrement dit, aucun animal du marché de Wuhan n’a été infecté malgré des dizaines de milliers de tests réalisés et aucune preuve n’atteste que ce virus circulait déjà à Wuhan ou à proximité avant que n’éclate la pandémie. Les rares pangolins infectés du marché qu’on avait d’abord incriminés avaient en définitive… été infectés par un virus qui n’est certainement pas le parent de l’épidémie car trop distant génétiquement

P4 Chine Wuhan covid

 [Le laboratoire P4 de Wuhan pourrait être à l’origine de la fuite du virus, selon des hypothèses. Mais l’incertitude demeure.]

Transmission naturelle contre accident de labo

Dans les nombreuses enquêtes menées par des scientifiques du monde entier, chaque nouvelle découverte accrédite l’une ou l’autre des deux hypothèses. Récemment, l’Institut Pasteur a isolé le plus proche cousin du SARS CoV-2 sur une chauve-souris du Laos, dans une région près de la frontière chinoise. Ces virus sont capables d’infecter des cellules humaines ce qui plaide plutôt pour une zoonose, mais n’explique pas l’origine de l’épidémie dans la vile de Wuhan à plus de mille kilomètres. Et au vu de son profil génétique, c’est un cousin et pas un progéniteur, on n’est donc toujours pas sur la bonne piste.

Six mois avant cette découverte Pasteur, une autre révélation avait nourri la thèse de la contamination en laboratoire. Il s’agit du projet de recherche Defuse issu de l’ONG américaine EcoHealth travaillant en lien avec l’Institut de virologie de Wuhan spécialisé dans les coronavirus.

« Ce projet visait à étudier comment les coronavirus de chauve-souris peuvent s’adapter pour infecter les humains, en vue de prévenir les épidémies en vaccinant les animaux contre les virus les plus susceptibles de nous infecter, précise Étienne Decroly. Defuse impliquait de mener des expériences pour voir quelles mutations améliorent la capacité des virus à passer des chauves- souris aux humains en créant des virus “chimériques”. La modification des propriétés d’un virus pour voir s’il peut mieux sauter d’une espèce à une autre s’appelle le “gain de fonction”. Il s’agit d’expériences à risque car si le virus ainsi “amélioré” échappe au contrôle du laboratoire, on ne peut prédire sa destinée… »

La semaine dernière, neuf courriels échangé en février 2020 lors du confinement de Wuhan relayaient les échanges entre différents responsables de l’Institut national américain de la santé (NIH), autour de l’origine de ce nouveau virus. À l’époque, ils étaient plus nombreux à penser que le virus était issu d’une contamination de laboratoire avant que le NIH fasse pression pour décrédibiliser et écarter cette hypothèse.

Il faut dire que l’institut américain finance des travaux virologiques à Wuhan depuis 2015 et était sans doute bien embarrassé par cette hypothèse. Si le département de la défense américaine Darpa a refusé de financer Defuse jugeant le projet risqué, le NIH avait accordé une subvention à EcoHealth Alliance, dont une partie réservée à l’institut de virologie de Wuhan pour l’étude de coronavirus de chauve-souris.

La France dans une position peu confortable

Le gouvernement français, qui a aidé la Chine a lancer la création de son laboratoire de virologie, est aussi dans une position peu confortable. Après le lancement du projet en 2004, les services de renseignements français ont alerté les autorités sur les risques d’exploitation militaires de ces laboratoire remplis de virus mortels. Par la suite, la construction du laboratoire inauguré en 2016 a été émaillée d’incidents technologique et diplomatiques.

Finalement, la France n’a jamais vraiment engagé sa coopération avec la Chine
autour des maladies infectieuses comme envisagé lors du projet initial. Paris aurait
même refusé de livrer à la Chine des échantillons de virus infectieux que le
laboratoire demandait.

Aujourd’hui, certains experts imaginent que certains laboratoires de Wuhan ont développé les expériences envisagées par Defuse sans l’aide du Darpa et que le SARS CoV-2 soit issu d’une contamination accidentelle via des chercheurs asymptomatiques ou des déchets de laboratoire mal décontaminés.

L’origine permet la prévention

Comme pour la grippe, comprendre l’origine de la pandémie Covid est une question essentielle. Bien au-delà des considérations diplomatiques, savoir comment elle a démarré permettra d’envisager des mesures de protection. Soit des dispositifs de surveillance de l’activité microbienne sur la chaîne de contamination animale, soit des ajustements de sécurité en laboratoire pour éviter une nouvelle pandémie.

Marché Wuhan chine covid

[L’une des premières pistes de l’enquête visant à retracer la source de la contamination menait au marché de Wuhan, en Chine].

Selon Fréderic Keck, anthropologue et directeur de recherche CNRS, l’origine du virus met aussi en lumière les dérives qui  nous y ont mené :

« La préparation aux pandémies nécessite de comprendre l’origine de ce virus à partir des vulnérabilités de notre infrastructure et des transformations de notre écologie. L’origine animale du SARS-CoV2 a favorisé la prise de conscience du rôle de la biodiversité dans l’équilibre entre les vivants. Cela a pu encourager l’installation d’urbains en milieu rural. »

Virus « chimériques » et armes biologiques

Face à cette nouvelle préoccupation du monde vivant, les nouvelles biotechnologies rassurent quand elles permettent d’obtenir rapidement un vaccin contre le CoV-2. Mais elles inquiètent aussi : avec des techniques de manipulations innovantes et la possibilité de commander des gènes synthétiques, elles permettent de changer l’ADN ou l’ARN des virus. La biologie de synthèse a de fait révolutionné le travail sur les virus et pose des questions de sécurité.

« Elle permet de fabriquer un virus juste à partir de sa séquence génétique, précise Étienne Decroly. Cette évolution améliore la compréhension des virus et la capacité à trouver des médicaments. Mais elle implique également des risques. En 2012, deux laboratoires américains et hollandais ont génétiquement transformé des virus de grippe aviaire pour les rendre très contagieux par aérosols.

Il s’agissait d’étudier les mutations jouant un rôle clef dans  la transmission et la pathogénèse de virus (la façon dont ils rendent malade, ndlr) pour pouvoir surveiller et prévenir des risques de pandémie. Mais ces expériences ont fabriqué des virus de grippe potentiellement dangereux… Comment prévoir la trajectoire d’un virus construit en laboratoire si il s’échappait des laboratoires de sécurité ? »

Pour l’expert, ce type de recherche visant a modifier des virus n’est pas à bannir, car elle permettrait de comprendre comment les virus se répliquent et de développer des traitements novateurs ou des vaccin. Toutefois elles sont particulièrement à risque lorsque l’on travail sur des virus respiratoires à potentiel pandémiques. Il convient donc de bien réfléchir aux conditions de sécurité et aux moyens d’encadrer ces pratiques.

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