Covid-19, ce que cache la rhétorique guerrière – Le Monde

Analyse. « Nous sommes en guerre, en guerre sanitaire, certes. Nous ne luttons ni contre une armée ni contre une autre nation, mais l’ennemi est là, invisible, insaisissable et qui progresse », a déclaré, le 16 mars, le président de la République, Emmanuel Macron. Depuis, observateurs et politiques filent la métaphore militaire : « économie de guerre », « bataille », « front », « couvre-feu », « tranchées ». Les conséquences de cette pandémie évoquent, c’est vrai, une ambiance guerrière : hôpitaux de campagne, médecine d’urgence, mobilisation partielle des forces armées, revendications de « réquisitions » d’usine ou même ces attestations nécessaires pour chaque sortie, ces laissez-passer du XXIe siècle. Et, pourtant, ce n’est pas une guerre, mais une catastrophe humaine. Ce n’est pas une guerre, mais une crise sanitaire globale, et chacun sait qu’en temps de malheur il faut correctement nommer les choses.

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On sait, depuis le théoricien prussien Carl von Clausewitz, que « la guerre est un caméléon ». Elle change de forme, de couleur, d’acteurs, mais pas de nature. Pour parler de guerre, d’abord, il faut un ennemi. L’expression d’« ennemi invisible » pour qualifier le Covid-19 ne tient pas. Dans une guerre, l’ennemi est un élément intelligent, structuré et incarné, comme l’Allemagne nazie l’était durant la seconde guerre mondiale, ou encore l’URSS durant la guerre froide. Faire la guerre relève d’une intention, d’une volonté institutionnelle.

Dans quelle guerre a-t-on vu des civils (personnels soignants, caissières, éboueurs) en première ligne, sauf lorsqu’ils sont utilisés comme boucliers humains ?

On ne signe pas la paix avec un virus, contrairement à ce qui se passe à l’issue d’un conflit entre le vainqueur et le vaincu. Dans une guerre classique, même de destruction totale comme à Carthage, au IIe siècle avant J.-C., les assiégés de la cité rivale de Rome ont exprimé des souhaits d’armistice, aussitôt anéantis par le sac de cette civilisation – d’où l’expression « paix carthaginoise ». Même à la fin du second conflit mondial, dans la guerre totale contre le nazisme, des dignitaires du régime hitlérien se sont assis à la table des Alliés pour signer la reddition inconditionnelle de l’Allemagne, le 8 mai 1945. Le Covid-19, lui, ne capitulera jamais.

Autre différence : lorsqu’un Etat entre en guerre, l’art militaire veut que des plans de bataille soient prêts pour affronter toutes les situations. Inutile de revenir sur les dysfonctionnements logistiques de l’Etat dans la lutte contre le Covid-19 : manque de masques, de tests… Qui dit guerre dit aussi destructions matérielles. Les rues des villes sont désertes, mais pas détruites. Sans oublier que, même si les pertes civiles, dans les guerres contemporaines, sont plus élevées que les pertes militaires, dans quelle guerre a-t-on vu des civils (personnels soignants, caissières, éboueurs) en première ligne, sauf lorsqu’ils sont utilisés comme boucliers humains ?

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