Pourquoi le Sras de 2003, aussi contagieux que le Covid-19, n’a-t-il pas fait le tour de la planète ? – Libération

Question posée par OuamChotte le 20/04/2020

Bonjour,

Votre question, qui a été raccourcie, était la suivante : «Les contagiosités du Sars-CoV-1 (responsable du Sras) et du Sars-CoV-2 (à l’origine du Covid-19) sont à peu près identiques. Un malade contamine, hors confinement, à peu près trois personnes. Pourquoi le nouveau virus fait le tour du monde, alors qu’en 2003, le premier avait été contenu ?»

Le virus Sars-CoV-1, responsable du Sras en 2002/2003, ne s’est effectivement pas autant répandu sur la planète que son apparenté le Sars-CoV-2, à l’origine de la maladie de Covid-19, et qui fait aujourd’hui des ravages. Bien qu’il ait réussi à atteindre une trentaine de pays, le Sars-CoV-1 n’a contaminé, à l’époque, «que» 8 000 personnes environ et provoqué quelque 800 décès, contre 3 millions de cas confirmés et plus de 200 000 morts à ce jour pour le Sars-CoV-2. Heureusement, car la létalité (nombre de morts par rapport au nombre de contaminés) du Sras était 10 à 20 fois plus élevée que celle du Covid-19.

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Les deux virus sont pourtant aussi contagieux l’un que l’autre, avec un nombre de reproductions initial, le R0, compris entre 2 et 4. C’est-à-dire qu’au début de l’épidémie, et au sein d’une population non immunisée, une personne contaminée par l’un des deux virus va en infecter, en moyenne, entre deux et quatre.

Pour rappel, ce taux de reproduction résulte du produit de trois facteurs : le mode de transmission du virus (par voie sexuelle pour le VIH, par voie orofécale pour la poliomyélite, par gouttelettes ou voie manuportée pour le Sars-CoV-2…), la durée de contagiosité et la densité de la population dans laquelle le virus circule.

«Les malades ont le temps d’en contaminer d’autres»

Pourquoi donc, avec le même R0 sur la ligne de départ, les deux virus n’ont pas fait la même course ? Pour une raison essentielle : à la différence du Sars-CoV-1, le Sars-CoV-2 se transmet avant même l’apparition des symptômes chez le malade.

«Le Sras de 2003 n’était contagieux qu’après l’apparition des symptômes, ce qui laissait le temps d’isoler les patients avant qu’ils n’en contaminent d’autres. Et ils étaient d’autant plus repérables qu’ils faisaient toujours des formes graves, explique l’épidémiologiste Arnaud Fontanet, de l’Institut Pasteur. Avec le Covid-19, la contagiosité reste toujours plus importante après les symptômes, mais le peu de contagiosité qui s’opère avant fait toute la différence : avant d’être repérés et éventuellement isolés, les malades ont eu le temps d’en contaminer d’autres.»

A cela s’ajoute, avec le Covid-19, la contagiosité des malades complètement asymptomatiques, qu’il est encore plus difficile de repérer, sauf à tester tout le monde. «Eux passent totalement sous les radars, car ils ne vont pas consulter, donc ils ne sont pas repérés et on ne peut pas les isoler», ajoute Arnaud Fontanet.

Identifier les «superpreaders»

Comment, cependant, peut-on être contagieux sans exprimer les signes de la maladie ? «C’est lié à une excrétion virale qui apparaît un ou deux jours avant les symptômes chez les sujets atteints de Covid-19, explique Bruno Hoen, directeur de la recherche médicale à l’Institut Pasteur. La transmission se fait ensuite par postillons, comme avec les asymptomatiques, lorsqu’une personne parle à une autre.» Certes, les personnes n’ayant pas les symptômes de la maladie vont moins tousser et éternuer que les malades, mais ils propageront malgré tout le virus par postillons lors d’une conversation. Sans aller jusqu’à une transmission par l’air (aérosol) qui, bien que soupçonnée, n’a pas été démontrée pour l’instant.

Cette contagiosité pré ou asymptomatique explique donc que le Sars-CoV-2 a toujours un temps d’avance sur l’homme dans sa diffusion. Elle induit aussi la nécessité, dans le cadre d’un contrôle post-confinement, de repérer les cas symptomatiques, mais aussi toutes les personnes en contact avec eux durant les deux à trois jours avant l’apparition des symptômes.

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Autre élément, enfin, qui explique la moindre diffusion du Sras : «On se focalise souvent sur la valeur moyenne du R0 (mettons 2,8) mais personne n’infecte 2,8 personnes : certains en infectent 4, d’autres 5, et beaucoup 0. Cette distribution des R0 individuels est clé dans la probabilité d’émergence d’un virus. Pour le Sars-CoV-1, le rôle des superspreaders, avec des R0 individuels très élevés, était clé, ce qui signifie que la plupart des gens avaient un R0 nul», rappelle Samuel Alizon, chercheur en biologie au CNRS de Montpellier. Or, «l’identification des quelques personnes qui auraient pu constituer des superspreaders, et donc agréger à eux seuls une bonne partie de la propagation, était rendue aisée et il n’a donc pas été nécessaire d’en arriver jusqu’au confinement pour éteindre l’épidémie», ajoute Mircea Sofonea, maître de conférences en épidémiologie et évolution des maladies infectieuses à l’Université de Montpellier.

Pour l’épidémiologiste de l’université de Rennes Pascal Crépey, la contagiosité avant les symptômes du Sars-CoV-2 doit faire réfléchir à l’avenir : «On s’est beaucoup rassuré au début de l’épidémie en constatant que le taux de létalité du Covid-19, alors autour de 1%, était beaucoup plus faible que celui du Sras de 2003 (10%) ou du Mers de 2012 (30%). Mais c’est typiquement la preuve que la létalité d’un virus ne donne pas vraiment d’indication sur sa dangerosité. Avec une progression plus souterraine et plus silencieuse que le Sras, qui avait pourtant une forte pathogénicité, le Covid-19, lui, a fini par toucher beaucoup plus de monde et donc provoquer beaucoup plus de victimes.»


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Luc Peillon Source

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