Sanofi et un vaccin contre le Covid-19 en priorité pour les Etats-Unis : une polémique vite devenue politique en France – Le Monde

Le gouvernement américain « a le droit aux plus grosses précommandes », car les Etats-Unis « ont investi pour essayer de protéger leur population », a expliqué, mercredi 13 mai, le directeur général du groupe.
Le gouvernement américain « a le droit aux plus grosses précommandes », car les Etats-Unis « ont investi pour essayer de protéger leur population », a expliqué, mercredi 13 mai, le directeur général du groupe. CHARLES PLATIAU / Reuters

La réaction au sommet de l’Etat ne s’est pas fait attendre. Après le premier ministre, l’Elysée s’est « ému » de l’annonce selon laquelle le groupe pharmaceutique Sanofi servirait en priorité les Etats-Unis s’il trouvait un vaccin contre le Covid-19. « Les efforts déployés ces derniers mois montrent qu’il est nécessaire que ce vaccin soit un bien public mondial, extrait des lois du marché », a ajouté la présidence jeudi 14 mai, tout en précisant qu’Emmanuel Macron recevrait des dirigeants de Sanofi en début de semaine prochaine pour en discuter.

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Il serait « inacceptable » que le groupe pharmaceutique français serve en priorité les Etats-Unis avait d’abord fait savoir, jeudi 14 mai dans la matinée, la secrétaire d’Etat à l’économie, Agnès Pannier-Runacher, au micro de Sud Radio :

« Pour nous, ce serait inacceptable qu’il y ait un accès privilégié de tel ou tel pays sous un prétexte qui serait un prétexte pécuniaire. »

Edouard Philippe, qui a échangé jeudi avec le président de Sanofi, a affirmé dans un tweet que « l’égal accès de tous au vaccin n’est pas négociable ». Le président du conseil d’administration, le Français Serge Weinberg, « m’a donné toutes les assurances nécessaires quant à la distribution en France d’un éventuel vaccin Sanofi ».

C’est également le message que répète le groupe depuis mercredi soir, assurant qu’il n’y a aucune inquiétude à avoir quant au fait que certains pays seraient privés d’un tel traitement. Dans la soirée, le groupe avait précisé dans un communiqué que « la production sur le sol américain sera[it] principalement dédiée aux Etats-Unis et le reste de [ses] capacités de production sera[it] alloué à l’Europe, à la France et au reste du monde », s’engageant toutefois à ce que son éventuel vaccin « soit accessible à tous ».

« Les Américains sont efficaces »

Théoriquement, « l’objectif, c’est que le vaccin soit disponible à la fois aux Etats-Unis, en France et en Europe de la même manière », a promis jeudi le patron du groupe pour la France, Olivier Bogillot, dans un entretien à BFM-TV. Mais, dans les faits, cela sera possible « si les Européens travaillent aussi rapidement que les Américains », a-t-il précisé. Le responsable de Sanofi a ainsi renvoyé les autorités européennes à leurs responsabilités, soulignant que les Etats-Unis avaient déjà promis plusieurs centaines de millions d’euros, en plus de faciliter les démarches réglementaires pour permettre les recherches.

« Les Américains sont efficaces en cette période. Il faut que l’UE soit aussi efficace, en nous aidant à mettre à disposition très vite ce vaccin », a insisté M. Bogillot, rapportant en être au stade des « pourparlers » avec les autorités européennes ainsi qu’avec des pays comme la France et l’Allemagne.

Mercredi, le directeur général du groupe, Paul Hudson, a affirmé que Sanofi servirait « en premier » les Etats-Unis s’il trouvait un vaccin, car ce pays « partage le risque » des recherches dans le cadre d’un partenariat avec l’Autorité pour la recherche et le développement avancés dans le domaine biomédical (Barda). Le gouvernement américain « a le droit aux plus grosses précommandes », car les Etats-Unis « ont investi pour essayer de protéger leur population », a-t-il argué dans un entretien à l’agence de presse Bloomberg. Il a précisé que cette avance pourrait être de quelques jours ou de quelques semaines.

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Une « décision scandaleuse »

Ces déclarations ont suscité une série de réactions indignées dans le monde politique français, de l’opposition de gauche à celle d’extrême droite.

Dans le premier camp, le chef de file des socialistes, Olivier Faure, a dénoncé les « jeux du marché », évoquant le bien-fondé d’une nationalisation et appelant le gouvernement à l’action. « Cette décision est scandaleuse ! Le gouvernement doit agir avec la plus grande fermeté pour empêcher cette décision », a réagi mercredi matin le Parti socialiste dans un communiqué, ajoutant :

« L’engagement des Français pour développer un champion dans la filière de la santé ne peut pas aboutir à le voir préférer d’autres marchés pour lancer ses vaccins. […] Parce que la santé est un bien commun à soustraire aux jeux du marché, aucune entreprise française ne doit pouvoir jouer contre notre propre souveraineté sanitaire sans s’exposer à une nationalisation. »

Interrogée sur France Inter, Ségolène Royal, ancienne ministre de l’écologie, a dit de son côté : « Il est évident que la santé doit être exclue des règles du marché financier, ce n’est pas un bien comme un autre. »

Dans le second, Marine Le Pen, patronne du Rassemblement national, a posé la question : « Est-ce-qu’on pleure sur le patriotisme économique mis en place par les autres [les Etats-Unis] ou est-ce que nous aussi on décide d’en faire un peu ? » Elle souligne aussi que Sanofi « n’est plus une entreprise française ». De fait, les actionnaires du groupe sont, à plus de 60 %, des investisseurs étrangers.

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La polémique a également débordé du monde politique, l’organisation non gouvernementale militante Oxfam s’insurgeant contre des informations « tout simplement scandaleuses » et critiquant « les motivations financières et la recherche de profits par les géants de l’industrie pharmaceutique ».

Quant aux recherches elles-mêmes, où en sont-elles ? Le responsable de Sanofi a confirmé qu’il tablait toujours sur un vaccin prêt d’ici à dix-huit ou vingt-quatre mois, soulignant à quel point un tel calendrier était rapide par rapport à la normale. En temps normal, « développer un vaccin, ça prend dix ans », a rappelé M. Bogillot. « On essaie d’accélérer toutes les phases. »

Un vaccin contre la maladie Covid-19 pourrait être prêt d’ici un an dans un scénario « optimiste » selon les données provenant d’essais en cours, a estimé jeudi l’Agence européenne des médicaments (EMA).

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