Covid-19 : gare aux comparaisons hâtives entre les restrictions en France et dans d’autres pays – Le Monde

Une femme marche près d’un bar de Madrid fermé, en pleine seconde vague de Covid-19, le 4 novembre 2020.

Les restrictions seraient-elles toujours moins draconiennes chez le voisin ? Depuis le début de la seconde vague de Covid-19, de nombreux messages, provenant de politiques comme de simples citoyens, jugent la réponse sanitaire française à l’aune de celles d’autres pays. En toile de fond, un discours le plus souvent anticonfinement ou, à tout le moins, antirestrictions.

Mais comparer la situation entre les pays est un exercice périlleux. Le niveau de diffusion initial du virus, la densité de population, le nombre de personnes par foyer, les coutumes en matière de salutations et de distanciation sociale, la confiance vis-à-vis des instances politiques et scientifiques, la capacité d’accueil du système hospitalier ou encore le régime constitutionnel en vigueur sont autant de variables qui peuvent expliquer à la fois l’avancée (ou le recul) du virus, les réponses politiques et leurs résultats.

De fait, s’il existe bien des manières de critiquer légitimement la stratégie sanitaire française, ces comparaisons internationales biaisent le débat en omettant des détails essentiels, quand ils ne déforment pas la réalité. Décryptage de trois grands arguments.

Argentine : l’inefficacité du « plus grand confinement du monde »

A nuancer

Ce qu’il s’en dit en France

Sur la chaîne CNews, le président du parti Les Patriotes, Florian Philippot, popularise l’argument dès la fin octobre : « C’est le plus grand confinement du monde : ça fait sept mois qu’ils sont en confinement et vous regardez leur courbe de mortalité, c’est croissant en permanence. Chaque jour, il y a plus de morts que la veille, donc, ce n’est pas un exemple. » La situation argentine est depuis régulièrement citée pour tenter de montrer que confinement et maîtrise de l’épidémie ne vont pas forcément de pair.

Ce qui est vrai

Une partie des Argentins a enduré le plus long confinement de tous les pays : mis en place le 20 mars, il est resté en vigueur jusqu’au 29 novembre. Cela n’a pas empêché l’épidémie de suivre une pente ascendante, avec un pic seulement atteint au début de l’automne et une décrue très lente.

La stratégie sanitaire du président argentin, Alberto Fernandez, a suscité de vives critiques. Alors que l’économie argentine est exsangue, le pays est agité depuis de longs mois par des mouvements de contestation contre ces restrictions.

Ce qui est inexact

Le confinement généralisé de l’Argentine, comme l’Hexagone l’a connu au printemps puis en automne, n’a, en vérité, duré qu’un mois, du 20 mars au 26 avril inclus, avant des adaptations au cas par cas, région par région. Au 4 juin, 18 des 24 provinces que compte le pays étaient ainsi sorties de l’« isolement social, préventif et obligatoire », le nom de la stratégie argentine.

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Le confinement « sans fin » dont il est question concerne, en réalité, une seule région administrative du pays, mais pas des moindres : celle de la zone métropolitaine de Buenos Aires, la capitale, foyer épidémique.

Les mesures sanitaires appliquées dans la région de Buenos Aires ont, par ailleurs, varié dans le temps, avec des allègements (réouvertures de certains commerces et permissions de sortie en juin, réouverture des bars et restaurants en septembre) et des resserrements (retour à un confinement strict début juillet), au gré de l’évolution de l’épidémie.

Pour aller plus loin

La situation argentine diffère profondément de celle en France sur plusieurs points :

  • En Amérique latine, le pic de la première vague de l’épidémie ne s’est pas produit en mars et avril comme en Europe, mais au moment où les températures sont les plus basses dans l’hémisphère Sud, c’est-à-dire en juillet-août. Il s’agit, par ailleurs, du continent le plus touché en nombre de cas et décès.
  • Les capacités d’accueil du système hospitalier sont bien moindres. Alors que la France dispose de 16,3 lits de réanimation pour 100 000 habitants, l’Argentine se situe à moins de 3,3, selon les derniers chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Les unités de soins intensifs ont atteint leur pic de saturation à la fin du mois de septembre.
  • La population argentine se concentre à 91,87 % dans les villes – lieux denses où le virus prolifère –, contre 80,44 % en France. Un habitant sur dix vit dans des bidonvilles, dans des conditions économiques et hygiéniques précaires : pauvreté, surpopulation, accès limité à l’eau potable. C’est dans l’un des plus importants d’entre eux, Villa 31, au cœur de Buenos Aires, qu’est apparu le principal foyer de contamination du pays, avec 1 000 cas au 19 mai, et principalement auprès d’une population dans l’incapacité économique de se confiner que le virus a circulé. Au 25 novembre, selon le décompte du journal Clarin, l’Argentine comptait 1,39 million de cas positifs et 37 687 décès, dont 20 117 dans la seule aire métropolitaine de la capitale.

Espagne : bars et restaurants ouverts à Madrid, « et tout va bien »

Exagéré

Ce qui s’en dit en France

Silvano Trotta, chef d’entreprise et ufologue reconverti en influenceur aux accents conspirationnistes, écrit dans un Tweet du 24 novembre, lien vers un article en allemand à l’appui : « Ce que vous ne lirez pas dans les médias… Madrid : théâtres, musées, restaurants, commerces, etc. sont ouverts depuis juillet… Et tout va bien ! »

Ce qui est vrai

Le gouvernement espagnol a fait le choix de sauver l’économie coûte que coûte et n’a pas imposé de reconfinement généralisé. Contrairement à ce qu’a pratiqué Madrid, lors de la première vague, restaurants et bars n’ont pas été fermés administrativement et ont pu continuer à servir tout l’automne, malgré la reprise épidémique constatée dès la fin août. Les salles de théâtre ont également pu poursuivre les représentations, avec public, quelle que soit leur taille. Malgré ces mesures, l’Espagne connaît une décrue du nombre de cas depuis fin octobre et une situation épidémiologique comparable à la France, avec 10 863 nouveaux cas le 29 novembre, contre près du double au début du mois.

Ce qui est imprécis

Laisser croire qu’il n’existe pas de restrictions en Espagne est trompeur : elles existent, mais varient selon les régions. Affirmer que tous les lieux de vie sont restés ouverts à Madrid est de même exagéré. Certes, contrairement à d’autres régions d’Espagne, comme la Catalogne ou le Pays basque, bars et restaurants madrilènes n’ont pas enduré de fermeture administrative (à l’exception tout de même des tablaos, les bars à flamenco). Mais ils ont dû composer avec un couvre-feu (accueil des derniers clients jusqu’à 22 heures, sachant que les soirées en Espagne débutent plus tard qu’en France), et un protocole sanitaire réduisant leur capacité d’accueil, tout comme les théâtres (port du masque, 75 % de la capacité maximale et un siège d’écart). Par ailleurs, plusieurs quartiers de la capitale ont fait l’objet de mesures de confinement localisées, tandis que l’assignation à domicile des cas positifs est plus stricte et coercitive qu’en France.

Dans ce contexte, une part de la population s’autoconfine et nombre de bars et restaurants ont d’eux-mêmes gardé le rideau baissé au plus fort de la seconde vague, que ce soit pour des raisons sanitaires ou économiques. Le quotidien à Madrid n’est donc pas celui d’un retour à la normale – à l’image de cet esclandre en septembre dans un théâtre madrilène accusé par les spectateurs de ne pas respecter les mesures de distance physique.

Enfin, difficile d’un point de vue de santé publique d’affirmer que « tout va bien » : la seconde vague a déjà emporté plus de 15 000 vies en Espagne (contre 28 000 lors de la première). Avec 942 morts pour 100 000 habitants, le pays affiche le 5e plus haut taux de mortalité au monde, seulement distancé par la Belgique, Saint-Marin, le Pérou et Andorre. A titre de comparaison, au 26 novembre, la France se situe au 16e rang (755,6 décès pour 100 000 habitants). Et si le pic de la seconde vague semble avoir été atteint fin octobre-début novembre, sa lente décrue inquiète pour les risques de rebond lors des fêtes de fin d’année.

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Suède : « restaurants et discothèques ouverts, zéro mort »

Faux

Ce qui s’en dit en France

Déjà considérée comme le contre-modèle rêvé dans le discours anticonfinement du printemps, la Suède continue de passer sur les réseaux sociaux pour un havre de bon sens, de liberté et de sécurité. « La situation économique de la Suède, sans confinement ni masque, est meilleure qu’avant la crise de mars. CQFD », peut-on lire sur Twitter. « Suède sans confinement, sans masque. Avec restaurants et discothèques ouverts. Hier encore, zéro mort ! », continue d’affirmer un message Facebook viral.
Pourquoi c’est faux

Cette affirmation, très populaire en octobre, a été démentie au long des semaines, à mesure que la situation sanitaire en Suède a empiré.

D’abord, concernant les morts : si la seconde vague a été clémente en octobre, avec seulement quelques morts par jour en moyenne, elle s’est aggravée en novembre : le décompte quotidien des disparus du Covid-19 a été multiplié par dix – même s’il reste très inférieur à celui de la France. Surtout, le nombre quotidien de cas ne fait que croître – avec un pic à près de 8 000 le 17 novembre – laissant redouter une saturation des hôpitaux.

Ensuite, à propos des restrictions : prenant acte du peu de résultat de sa stratégie libérale, le gouvernement suédois a opéré un virage vers des mesures plus restrictives en novembre. Depuis le 10, les bars et les restaurants doivent fermer à 22 h 30, jusqu’au 28 février au moins. Par ailleurs, les recommandations officielles sont très suivies par la population. Ainsi, dans plusieurs régions, les habitants se sont conformés aux suggestions de leurs élus : travailler à la maison, éviter les transports en commun, les salles de sport et les magasins, limiter les contacts à la sphère familiale.

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Pour aller plus loin

Vue de France, la réaction suédoise au Covid-19 est souvent citée comme un exemple de respect des libertés civiles. Mais les deux pays s’inscrivent dans des traditions politiques et des cadres constitutionnels très différents. La France est un Etat traditionnellement jacobin, offrant d’importantes prérogatives au président de la République. La Constitution suédoise interdit de restreindre de la liberté de circulation en temps de paix. Cela n’a pas empêché les Suédois de restreindre leurs déplacements d’eux-mêmes.

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