Covid-19 : en Chine, ces antivax aux cheveux blancs – L’Express

Au nord de Pékin, dans une maison aux airs de vieux temple bouddhiste, la clinique du docteur Bai fait partie des 50 000 centres de médecine traditionnelle du pays. Dans de petits tiroirs en bois sont entreposées de mystérieuses plantes médicinales odorantes, qui seront ensuite pesées au gramme près et ajoutées à des mixtures d’insectes, de champignons ou de racines. Depuis l’épidémie de Covid-19, le lieu ne désemplit pas. Parmi les visiteurs, beaucoup de personnes âgées qui croient davantage aux vertus des plantes et des traditions qu’à celles des vaccins. “Je me soigne depuis des années avec la médecine traditionnelle, c’est suffisant et surtout c’est moins nocif pour mon organisme”, affirme une habituée de presque 80 ans, qu’un médecin a refusé de vacciner en raison de ses problèmes de santé.  

L’attrait pour ces soins ancestraux n’est pas le seul responsable de la faible couverture vaccinale des personnes âgées. Si 80% des Chinois de plus de 60 ans ont reçu deux injections, selon les chiffres de la commission nationale de santé de mai 2022, ils ne sont que 60% à avoir bénéficié d’un rappel – contre 88% pour le reste de la population. Plus les gens avancent en âge, moins ils se vaccinent : à la mi-mars, seule la moitié des plus de 80 ans avait ses deux doses. “Les vaccins ne sont pas efficaces, lance un Pékinois de 68 ans. Regardez, même les personnes vaccinées peuvent tomber malades, ce n’est pas une garantie ! En plus, si j’ai de la fièvre ou des douleurs à cause du vaccin, je risque de me retrouver à l’hôpital.” La hantise de tous, car les risques de contagion augmenteront encore.  

Priorité aux actifs pour la vaccination

Contrairement à de nombreux pays occidentaux comme la France, qui ont donné la priorité aux personnes âgées et aux groupes immunodéprimés, la Chine a proposé dans un premier temps la vaccination aux seuls actifs de 18 à 59 ans, considérés comme les plus susceptibles de propager le virus. L’objectif des autorités étant officiellement de “prévenir les cas importés et les résurgences nationales”, les premiers à être vaccinés étaient donc les employés des douanes et des aéroports, les chauffeurs de taxi, les livreurs… Dans la plupart des villes, il aura ainsi fallu attendre juin 2021 pour que les plus de 60 ans aient accès au vaccin. Un choix initial qui a laissé son empreinte dans les esprits.  

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Le cas de Hongkong, où la faible couverture vaccinale des seniors a eu des effets dramatiques, devrait pourtant faire réfléchir le gouvernement. Là-bas, 95% des morts du Covid sont des personnes de plus de 60 ans qui n’étaient pas complètement vaccinées. “Tant que les personnes âgées, qui sont les plus vulnérables, ne seront pas mieux protégées, il n’y aura pas d’immunité collective “, indique Jin Dongyan, l’un des virologues les plus réputés de Hongkong. 

Problème, seuls deux vaccins sont autorisés dans le pays, ceux des laboratoires chinois Sinovac et Sinopharm. Or, sans troisième dose, leur efficacité reste très limitée. “Si l’on se soucie vraiment de la vie et de la santé des gens, on doit approuver l’importation de vaccins à ARN messager comme Pfizer, et ce dès que possible”, explique Jin Dongyan. Mais pas question pour la Chine d’être dépendante d’un sérum étranger, il y va de la fierté nationale. 

“La décision de ne pas lancer de programmes nationaux de vaccination obligatoire ajoute aussi à la défiance”, précise Wang Guisong, professeur de droit à l’université Renmin de Pékin. En outre, avant la pandémie, des scandales liés à la qualité et à la corruption avaient à plusieurs reprises ébranlé la confiance dans l’industrie chinoise des vaccins, faisant craindre des effets secondaires dus à des sérums défectueux. Les plus anciens n’ont pas oublié.  

“Beaucoup de gens pensent que cela ne sert à rien”

La Chine s’en remet donc à ses bonnes vieilles recettes : confinement, traçage et dépistages obligatoires. A Pékin, des dizaines de milliers de tentes hébergeant des centres de dépistages gratuits ont été installées. “Je viens tous les matins dès l’ouverture, lance un retraité. C’est important pour protéger notre communauté. L’homme arbore le brassard rouge des comités de quartiers : “Je suis membre du Parti communiste depuis 1968, j’avais 20 ans à l’époque, énonce-t-il fièrement. Après mon test, je m’installe à l’entrée de ma résidence pour contrôler les allées et venues.” A la question de savoir s’il est vacciné, il répond : “Non, j’ai des problèmes de coeur, tout le monde me déconseille de me faire vacciner. C’est pour les jeunes, ça, ceux qui travaillent.” 

Une timide campagne d’incitation à la vaccination a été relancée sur des affiches. Comme l’an dernier, les mairies de quartier offrent des oeufs, du riz et autres denrées alimentaires en échange d’une injection. Mais rien d’obligatoire, pas de passe vaccinal comme en France. “Beaucoup de gens pensent que cela ne sert à rien, souffle un habitant. On doit toujours se faire dépister tous les jours, on est soumis aux mêmes contraintes que tout le monde.” 

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La nouvelle vague Omicron pourrait en théorie inciter les autorités à revoir leur stratégie et pousser à la vaccination des quelque 264 millions de Chinois de plus de 60 ans. “Mais pour cela, il faudrait une vraie révolution des esprits, souligne un expert scientifique d’une ambassade européenne. Beaucoup de cadres du régime préfèrent s’en tenir aux méthodes appliquées depuis deux ans, même si c’est une catastrophe pour l’économie. Si certains proposaient une autre approche, ils prendraient le risque d’un échec avec des conséquences pour leur carrière. Imaginez que la vaccination soit imposée et que des personnes âgées meurent d’une maladie, même sans rapport avec le vaccin : il y aurait des protestations terribles. En Chine, on ne bouscule pas les personnes âgées.” 

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